Harcèlement moral en entreprise : entretien avec Jennifer KIEFFER

Harcèlement moral en entreprise : entretien avec Jennifer KIEFFER

Seulement 4% des salariés français interrogés lors de l’enquête « Le harcèlement au travail » réalisée par Qualisocial et Ipsos1 savent identifier une situation de harcèlement. Le harcèlement moral, parfois perçu comme anodin, reste ainsi largement méconnu dans ses mécanismes et ses manifestations. Un manque de repères qui favorise l’inaction, tout en permettant aux situations de s’installer, de s’aggraver et de nuire durablement aux personnes concernées et à l’équilibre collectif.


Entretien avec Jennifer KIEFFER dans la lettre d’information prévention de Collecteam, publiée en septembre 2025.

Comment caractériser une situation de harcèlement moral ?

Le harcèlement moral est défini par l’article L 1152-1 du Code du travail, lequel dispose : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Pour être qualifiée de harcèlement moral, 3 conditions cumulatives doivent être remplies :

  • Il faut des agissements répétés : un fait isolé, unique, même grave ne peut pas permettre de qualifier une pratique de harcèlement moral ;
  • Qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail :
  • Susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité, d’altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre l’avenir professionnel du salarié.

La souffrance psychologique dans une relation de travail est-elle nécessairement une situation de harcèlement moral ?

La souffrance au travail et le harcèlement moral sont deux notions distinctes dans leurs causes, leurs approches de traitement et leur cadre juridique. La souffrance au travail est un concept plus large qui peut inclure divers facteurs et situations qui causent du stress, ou d’autres problèmes de santé mentale et physique chez les salariés. Ces facteurs peuvent être liés à l’organisation du travail, à l’environnement de travail, aux relations interpersonnelles. Le harcèlement moral, quant à lui est une forme spécifique de souffrance au travail qui est définie par les éléments constitutifs précédemment rappelés.

La difficulté à distinguer ces deux notions réside dans le fait que la souffrance au travail et le harcèlement moral entretiennent des liens naturels qui altèrent très souvent la lisibilité et le champ d’application des qualifications : soit parce que les éléments de qualification du harcèlement moral sont également des facteurs de souffrance au travail, soit parce que la souffrance au travail facilite la qualification de harcèlement moral par le salarié qui vit mal une situation particulière. Dans ces situations, il ne faut pas oublier que la qualification du harcèlement moral n’est pas psychologique, à partir du ressenti de la personne plaignante, mais juridique, indépendamment des émotions ressenties.

Quelle différence faire alors entre management et harcèlement moral ?

Bien que la dernière jurisprudence rendue par la Cour de Cassation, le 21 janvier 2025 dans l’affaire « FRANCE TELECOM » (Cass. Soc. 21/01/2025, n°22-87.145), ait consacré la notion de harcèlement moral institutionnel, le harcèlement moral ne doit pas pour autant être confondu avec l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur ou du manager.

Ainsi, un manager a le droit et même le devoir d’exer- cer son autorité et de prendre des décisions pour organiser et diriger le travail. Ainsi, ne s’analyse pas en une situation de harcèlement moral le fait d’infliger à un salarié une sanction disciplinaire justifiée ou de rappeler par courrier au salarié son obligation de respecter ses horaires de travail. La Chambre sociale de la Cour de Cassation a même déjà jugé que l’exercice du pouvoir de direction, même de manière autoritaire et même générant un important voir préjudiciable stress au travail n’est pas systématiquement constitutif du délit de harcèlement moral (Cass. Soc. 21/11/2012, n°11-23-692).

Toutefois, l’exercice de ce pouvoir de direction et management doivent s’exercer dans le respect des droits et de la dignité des salariés, sans recourir à des pratiques abusives et répétées qui pourraient être qualifiées de harcèlement moral.

Propos recueillis par  Sébastien VAUMORON, Responsable prévention Collecteam